Evgeny, il a pas l'impression de vraiment être apprécié par ses élèves. Au départ, il ne comprenait pas trop pourquoi il en était ainsi. Il aimait la matière qu'il enseignait, et avait tout fait pour transmettre sa passion, comme un bon professeur était censé le faire. Il ne voyait pas quoi faire d'autre, en fait. Alors aujourd'hui, que tu l'apprécies ou pas, il n'en n'a rieeen à foutre. Il est professeur, et se sait être un bon professeur. Après trois ans, on l'aurait viré sinon, non ? Enfin soit, il est toujours là et compte bien rester. Il y porte beaucoup d'importance, à son travail. Travailler, c'est important. Sans ça, il n'aurait pas grand chose hein. Déjà que sa famille n'est pas non plus des plus riches, il ne se permettrait pas d'en plus ne servir que de fardeau. Et puis c'est quelqu'un de très indépendant, il peut et veut se débrouiller sans l'aide de personne.

Sinon, hors des cours, mis à part le fait qu'il soit toujours aussi indépendant, il sait rire. À sa manière. Au dépend des autres, bien souvent. Bah, faut s'amuser avec ce qu'on peut, hein. Alors il rit avec tout ce qu'il peut, que ça plaise ou non, ce n'est pas ce qui va le déranger. Après, il sait aussi rire avec les autres, et pas que des autres. Que ce soit l'un ou l'autre, il s'en fiche, tant qu'il rit, c'est le principal. Alors il en aura pas grand chose à foutre de se montrer vexant envers toi ou qui que ce soit d'autre. Si tu l'aimes pas, t'as qu'à dégager, et puis voilà. Par contre, s'il t'aime bien, c'est possible qu'il fasse un petit effort, ça dépend du fait qu'il t'aime vraiment beaucoup ou pas. Mais te fais pas trop d'espoirs, c'est rare. Puis s'il t'aimes bien, faudra que tu te fasses à un certain truc. Evgeny, il a aucune hésitation à toucher tout le monde. Enfin, par là j'entends qu'il est très tactile, toujours le premier à poser une grosse paluche sur ton épaule sans se poser plus de questions. Ça peut être gênant ouais, vachement, mais encore une fois, c'est pas son problème, il fait ce qu'il veut. C'est pas de sa faute, c'est même pas qu'il le fait exprès ou quoi, c'est simplement qu'il le fait comme ça, sans s'en rendre compte. Une habitude, quoi.

Par contre, faut pas déconner, évites de lui faire trop de remarques. Négatives ou pas, s'il est de mauvaise humeur il les prendra de toute manière mal. Il s'apprécie lui même plutôt bien, et vaut mieux pas attaquer son ego, parce Evgeny sait se défendre. Oh, il n'a encore jamais frappé d'élève. Il tient à son poste. Par contre, porter un coup sur un banc en bois, le faisant sinistrement craquer, ça lui est déjà arrivé. Ouais ouais, pas de détérioration du matériel, il est au courant. Mais qui la direction préférera croire entre toi, petit élève perdu et lui, excellent enseignant ? Pas besoin d'écrire la réponse, hein.

Il est né dans une famille de pauvres, Evgeny. Enfin sa mère était pauvre, son père il en sait que dalle vu qu'il est parti avec une autre femme quand le gamin avait deux-trois ans, il se souvient plus trop de ce que sa mère a dit. Enfin bref, ce connard avait laissé sa mère et ses deux fils de six et deux-trois ans tous seuls, alors que la femme n'avait pas d'emploi. Ah, bah elle dut s'en trouver un rapidement, hein. Sauf que quand on vit dans une petite ville paumées à trois heures de Moscou, c'est pas des plus faciles. Elle n'était que rarement à la maison, donc le frère d'Evgeny s'occupait de lui comme il pouvait. Il allait pas à l'école, lui. Evgeny non plus, il était trop jeune, donc c'est normal. Sa mère faisait tout pour être sûre que lui y aille, par contre. Et c'est ce qui arriva, il eu la chance d'avoir une éducation correcte et complète. Lui, il trouvait ça génial, parce qu'il apprenait plein de choses et plus tard, il pourrait avoir un métier lui rapportant beaucoup d'argent, permettant du coup à sa famille d'avoir une vie plus facile.

C'était un bon élève, un très bon élève, et sa mère insista pour mettre de l'argent de côté pour qu'il puisse faire des études par après. Lui, il n'allait certainement pas s'en plaindre. Son frère, par contre, c'était une autre affaire. Evgeny pouvait le comprendre, il n'avait jamais pu aller à l'école lui, ni suivre de quelconques études. Mais ce n'était pas de la faute du cadet, quand même. Enfin, son frère avait beau affirmer le contraire, il n'avait jamais demandé à être né, ni même demandé autant d'attention. Il ne comprenait pas pourquoi sa mère faisait preuve d'un tel favoritisme, d'ailleurs. Elle ne l'avait peut-être jamais clairement dit, c'était tellement évident... Enfin bon. Lui, il profitait de ce qu'on pouvait lui offrir qui pourrait lui être bénéfique. L'argent en faisait partie. Alors en plus de ses études, il amassait petits boulots par petits boulots, ce qui ne faisait qu'accroître la jalousie de son frère qui, apparemment, ne comprenait pas pourquoi Evgeny faisait tout pour qu'on l'admire. Alors que non, ce n'était pas pour ça qu'il travaillait, c'était par nécessité. Un jour, ils eurent une discussion plutôt sérieuse là-dessus, et comme il aurait pu s'y attendre, ils en vinrent aux mains. Y a pas vraiment eu de gagnant ou de perdant, juste une famille un peu moins unie. Et des meubles cassés, et ça c'était vachement chiant parce qu'Evgeny avait du s'arranger pour les faire réparer au plus vite sans que sa mère ne remarque quoi que ce soit. Faut croire que la fatigue, ça fait oublier bien des choses, même le fait que la petite commode du salon existe. Enfin bon, Evgeny avait déduit une chose. Plus tôt il partirait d'ici, mieux ça serait pour tout le monde.

Avec les études qu'il avait suivi, ce qu'il pouvait faire, c'était professeur de sciences. De biologie, plus précisément. Et il y a de ça trois ans, un poste s'était libéré dans une école dont Evgeny avait déjà entendu parler, et qui avait une excellente réputation. Il n'avait pas pu y aller en étant jeune, c'était bien trop cher. Mais là, il avait tenté le tout pour le tout. Et étonnement, il avait réussi. Il ne savait pas trop comment, mais c'était fait et c'était pas un problème pour lui. Après, s'il allait survivre à l'ambiance, de son point de vue, totalement pourrie, c'était à voir. Mais une chose était sûre, il allait faire de son mieux.